


Ce matin, à la première heure, la fleur du pavot était encore enclose dans sa gangue feuillue. La soie coq de roche de sa robe, prête à se déployer d’un moment à l’autre, affleure, plis contre plis, entre les sépales.
Paupières mi-closes, je surveille la corolle, l’air de rien. Je baisse les yeux pour écrire, puis redresse la tête à hauteur du bouton. La gangue veloutée s’est encore écartée davantage.
Un peu plus tard, sous le plein soleil de juin, la gangue feuillue s’est évasée, laissant échapper le lent déplissé des pétales. Silencieuse émergence, mystérieuse, indéchiffrable, qui ne se peut percevoir qu’en creusant l’espace entre deux instants de la floraison. Merveille de ce calice élégamment ourlé, ondulant doucement sur sa hampe élancée.
Je me penche sur la corolle pour respirer l’odeur du pavot.
Le cœur irisé de noir encre s’est absorbé dans la pupille de mon œil.
parfum du pavot
disant cela, qu’ai-je dit au juste ?
rien
parfum
odeur, quelle ?
poivrée ? non
pimentée ?
non plus
rauque ?
pas davantage.
opiacée alors ?
peut-être
au-delà
rien d’autre
sinon l’indéfinissable odeur
d’encre noire
du pavot
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli